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Actualité6 mai 2020

Comment s’assurer que les entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale soient privées d’aides publiques ?

Faut-il exclure les aides publiques aux entreprises belges ayant leur siège fiscal ou des filiales dans un paradis fiscal? Oui, selon les parlementaires qui ont voté aujourd’hui en faveur d’un conditionnement des aides publiques aux entreprises à des garanties fiscales, en commission des finances. Le projet de loi  a été soutenu par la majorité des partis politiques. Selon Oxfam, c'est un pas dans la bonne direction mais insuffisant et prône une alternative plus efficace : la transparence publique autour de l'imposition de toutes les multinationales.

Selon le Fonds Monétaire International (FMI), la pandémie de coronavirus va provoquer une récession économique mondiale en 2020 qui pourrait être plus forte que celle observée lors de la crise financière de 2008-2009. De nombreux secteurs économiques feront appel à un soutien public de l’état et des régions. C’est pourquoi les nouvelles lignes directrices en matière d'aide publique aux entreprises touchées par la crise du covid-19 constituent l’un des défis les plus importants pour notre pays.

Les pays pauvres perdent chaque année quelque 140 milliards de dollars de revenus en raison de l'évasion fiscale des multinationales. Ces rentrées fiscales sont détournées par des paradis fiscaux à l'intérieur et à l'extérieur de l'UE. Les économies les moins avancées perdent ainsi un montant considérable qui pourrait financer leur système scolaire et les soins de santé.

Pas d’aide aux entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale

Le Danemark fut le premier pays à annoncer que toutes les entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale ne pourront bénéficier d'aucun des programmes d'aide mis en place par le pays pour lutter contre les risques financiers liés à l'épidémie de coronavirus. Un exemple qui a suscité beaucoup de débats dans d’autres chancelleries européennes. Depuis lors, la France et la Pologne ont pris des décisions similaires, et le débat a fait rage dans les assemblées belge et italienne.

Le "modèle danois" a de quoi inspirer. Le fait que des multinationales qui pratiquent l'évitement fiscal depuis des années en appellent aujourd'hui à la solidarité du contribuable suscite des résistances qui sont indubitablement légitimes.

Une portée symbolique et limitée

Pourtant dans la pratique, la réglementation danoise laisse de nombreuses questions sans réponses. Elle cible les entreprises qui n'ont pas d'activité réelle dans un paradis fiscal, autrement dit, celles présentes dans ces territoires uniquement pour éviter l'impôt. Mais qu'en est-il des entreprises qui ont une réelle activité économique dans un paradis fiscal ou qui déclarent une poignée de salariés pour donner l'illusion d'exercer une telle activité ? Et ce qui pose encore plus problème, c'est la définition même de ce que constitue un paradis fiscal.

Comme le Danemark, les autres pays européens dans lesquels cette mesure est à l'étude s'appuient sur une liste noire qui distingue les paradis fiscaux - comme les îles Caïmans et les Bermudes - des pays dits "vertueux". Or ces listes sont établies sur base de critères qui varient d'un pays à l'autre. Si on peut saluer le fait que les listes noires belges sont plus rigoureuses que celles de la plupart de nos voisins européens, elles gardent toutes le silence sur les paradis fiscaux qui opèrent au sein même de l'UE.

Les multinationales qui délocalisent leurs bénéfices au Luxembourg, en Irlande ou aux Pays-Bas échapperaient donc à cette mesure et pourraient bénéficier d'un soutien public de l'Etat. Pourtant, ces pays causent le plus de dommages au Trésor belge: la Belgique perd 2,6 milliards d'euros au profit des ces paradis fiscaux chaque année.

La transparence fiscale comme alternative

En conditionnant tout soutien public à une obligation de transparence fiscale, notre gouvernement pourrait enfin savoir si les entreprises paient leur juste part d'impôts ou si elles dissimulent leurs profits dans des paradis fiscaux. Concrètement, les grandes entreprises qui bénéficient d'un soutien gouvernemental devraient être obligées de publier un rapport annuel public, dans lequel elles indiqueraient de manière transparente le montant des impôts qu'elles paient dans chaque pays où elles ont une activité et l'activité économique qu'elles exercent.

Cette mesure de transparence aurait une portée beaucoup plus grande. En publiant certaines informations clés sur leurs activités (chiffre d'affaires, employés, filiales) et les impôts qu'elles payent dans tous les pays où elles opèrent, nous aurions un aperçu de toutes les pratiques fiscales des multinationales, y compris dans les paradis fiscaux européens. Si ces rapports devaient révéler que les entreprises se livrent à une évasion fiscale à grande échelle, il y a fort à parier que le public et les actionnaires exerceraient une pression supplémentaire sur ces entreprises et sur les pouvoirs publics.

Enfin, au lieu de "simplement" punir les entreprises pour leurs activités passées, cette mesure est de nature transformationnelle et encouragerait les entreprises à adopter une approche différente à l'avenir. Elle est réaliste, rapide à mettre en oeuvre et peut conduire à un réel changement.

En conditionnant tout soutien public à une obligation de transparence fiscale, notre gouvernement pourrait enfin savoir si les entreprises paient leur juste part d'impôts ou si elles dissimulent leurs profits dans des paradis fiscaux.

Pas de milliards sans garanties climatiques

Il faut aussi s’assurer que le soutien financier demandé par les entreprises en difficulté ne soit pas inconditionnel, mais bien accompagné de nouvelles réglementations, entre autres environnementales. Concrètement, le soutien des gouvernements aux grandes entreprises doit s'accompagner d'engagements concrets de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, conformément à l'objectif de limitation du réchauffement à 1,5 °C fixé dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat. Choisir la voie du « business as usual » comme si l’urgence climatique n’existait pas n’est pas une option.

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